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Estampe d'Aquitaine
13 mai 2009

Josette Coras, de Baume les Messieurs

Josette Coras a été invitée de l'Estampe d'Aquitaine et nous avions présenté il y a des années ses travaux au burin, qu'elle transformait en oeuvres à trois dimensions pour évoquer les sources et les vallées de son pays. A sa mort en mars 2008, l'article ci-dessous est paru sur le site Internet de Françoise Desbiez et nous le reproduisons à sa mémoire. Nous y avons joint un album de ses oeuvres en deux et en trois dimensions qu'on pourra consulter dans la colonne de gauche

Le président   

Josette Coras nous a quitté hier, dimanche 2 mars. Est-il besoin de rappeler qu’elle était artiste et habitait l’abbaye de Baume-les-Messieurs. Ses dessins, gravures et sculptures appartiennent désormais au patrimoine comtois. Au-delà du personnage public, se cachait une femme sensible et attachante. Elle avait fini par acquérir un statut à part, une sorte de marraine un peu fée des artistes comtois. Il est dans la vie comme dans les contes, des gens dont l’existence affermit et rassure. Josette était de ceux-ci.
Elle s’en est allée rejoindre Pierre Bichet, et tous ceux qui ont eu la chance de les connaître se sentent aujourd’hui gravement orphelins.
L’enterrement de Josette Coras aura lieu mercredi 5 mars, à 14h 30, à Baume-les-Messieurs.

Des mots et du papier
Josette Coras brasse les idées dans un grand chaudron. Cela bouillonne avec une bonne dose de lecture, des litres de conversation. Elle assaisonne de pincées de solitude, de la réflexion à volonté, d’une poignée de mythologie et d’un zeste de rébellion. Dans l’abbaye des moines, elle est une sorcière qui mijote des brouets révolutionnaires et utopistes. Elle les servira à ses hôtes quand reviendra l’été. Ils sont passants, estivants, familiers, qui se refilent son adresse. Josette Coras est toujours disponible, prête à faire de chacun un être irremplaçable.
Il est des mots qui vous suivent toute la vie, et les siens sont ainsi. Quand je pense à elle, je crois que ce sont d’abord ses mots qui me viennent à l’esprit. Avant l’image de ses gravures ou de ses sculptures, avant même les hauts murs de Baume-les-Messieurs, ses paroles résonnent au cerveau, visent au plus juste ; elles bondissent en tumultes, se bousculent, éclaboussent. Pourtant, un mot, cela n’a l’air de rien, c’est tout petit, léger, une arabesque sur du papier, quelques sons, comme une musique vite éteinte dans le fracas des conversations. Ceux de Josette coulent comme les sources qu’elle aime tant dessiner. Ils rafraîchissent et régénèrent, parviennent à calmer les chagrins. Ils arrivent à ébranler l’indifférence et le quotidien, les habitudes et le banal, et à mettre en déroute ces horribles lieux communs qu’elle déteste tant. Sa conversation est solide et convaincue, roule en vagues sur un rythme qui lui est propre. Dans la foule, on la reconnaît entre toutes, à l’oreille, bien avant d’apercevoir mademoiselle Coras. Elle est habile à dompter les éléments, les vents et les contradictions ; elle aurait pu être marin.
Seulement, elle est née à Montain, dans ce Jura coriace et utopiste, où la terre colle aux pieds sans jamais empêcher l’esprit de s’envoler. Cela aurait pu être n’importe où, affirme-t-elle, en rêvant de tous ces possibles qu’elle n’aura pas, ces vies du Périgord, du Midi ou d’ailleurs, ces vies qu’elle voudrait tant, parce qu’enfin, une existence ne suffira pas à épuiser son enthousiasme et ses désirs.
De Montain à Paris, des lumières du Maroc aux ombres de Baume-les-Messieurs, elle a tout essayé, avec la certitude qu’il vaut mieux pécher par excès que par défaut. Une vie passionnée, vouée à l’art et au social, avec des mots-outils, des mots d’armure, pour à la fois comprendre et se protéger. Le chemin est hasardeux, même s’il est semé de ports d’attache. Il fallait bien du courage pour s’embarquer de Montain vers la capitale, acquérir une abbaye moribonde, presque un squelette de bâtiment. Et lutter inlassablement contre les routines du quotidien, s’affronter à des matières aussi dures que le cuivre des gravures, et endurer l’inconfort d’une vie d’artiste sans jamais s’en plaindre.
" J’habite un endroit assez magique au fond d’une vallée très étrange où il n’y a pas de ciel ". Dans cette vallée où le ciel est si loin, Josette et l’abbaye de Baume se sont rencontrées voici des années, tellement unies, qu’on ne peut plus aujourd’hui les dissocier. L’abbaye, sans sa propriétaire, serait sans doute en piteux état ; mais sans l’abbaye, comment auraient pu prendre corps tous ces rêves de rencontres, d’expositions, et cette vie épanouie à l’ombre des vieux murs ? À quoi auraient ressemblé toutes ces conversations au coin d’une cheminée de hasard ? Il leur fallait l’abri de l’immense plafond, les volumes imposants, les dalles luisantes et ces fenêtres antiques où le soleil daigne parfois glisser quelques rayons. Josette Coras et l’abbaye, c’est un vieux couple uni depuis si longtemps qu’on ne sait plus lequel a façonné l’autre.
Moitié artiste, moitié bonne fée, Josette est toujours là pour ces drôles de funambules que sont les créateurs. Son accueil est réputé, et ses amis nombreux. Les expositions sont le prétexte à pousser la porte, mais de toute façon, la porte n’est jamais fermée. La maîtresse des lieux est rarement très loin, quelque part sur les routes ou à balayer l’église. Elle en revient en retard avec une excuse d’enfant : " je m’amusais tellement que je n’ai pas vu l’heure ! " Et la foule, mondaine et amicale, se presse à l’abbaye. Chacun se réclame d’un entretien inoubliable ou d’une rencontre d’âme. Chacun, un jour ou l’autre, lui a volé un petit morceau de sa vie, comme un caillou précieux qu’il garde en talisman. Elle-même a oublié le nombre de ces cailloux distribués à travers le monde avec une folle générosité.
Outre la parole, son plus fidèle allié est le papier. Sa demeure croule sous les vagues de cette marée blanche, douce et légère. Papiers machine et les Canson épais de l’aquarelle ou de la gravure, brouillons où l’écriture se mélange aux dessins, ils débordent en flots des tiroirs et des cartons, montent à l’assaut des canapés et des tables, s’installent sur la moindre étagère, prolifèrent jusque dans les cuisines. Leur nombre renforce leur arrogance. Ces papiers-là ne craignent plus rien ni des corbeilles ni du feu. Depuis bien longtemps, ils ont pris possession de son espace sans qu’elle ne s’y oppose vraiment, trop amoureuse de leur compagnie. Elle tente parfois quelques rangements, mais n’a pas vraiment le cœur à réglementer ces flux indociles.
Josette n’a aucun goût pour l’ordre. Elle adore semer aux grands vents, sacrifie peu aux lois, s’entoure de marées.
Le papier est bon diable. Il est toujours à portée de main, pratique et bon marché. Si familier qu’on le croit ordinaire, on peut le gâcher sans remords. Il n’a aucune des exigences que revendiquent les matériaux de prix. Il se laisse gribouiller par les plus malhabiles ; on le chiffonne, on le malaxe, il se laisse faire. Son aspect est raffiné et son grain doux comme la peau. Froissé, il bruisse comme les feuilles sous un vent léger. Papier glacé, il glisse délicatement entre les doigts ; plus épais, sa texture enchante le toucher. Il exalte le contenu en papier-cadeau, la finesse en papier à cigarettes et la magie des images en papier photo. Josette est croqueuse de papier…

Cinquante-cinq ans à Baume-les-Messieurs
" Je voulais dire ma vérité sur ce qui s’est passé ici, et je ne voulais pas que quelqu’un d’autre la dise à ma place "

En 2006, l’abbaye réclame des travaux d’une telle importance que Josette ne peut pas les envisager. Il faudrait vendre, tout au moins une partie des locaux. Des mois durant, la vie reste suspendue à cette lourde interrogation. Des acheteurs se présentent ; aucun ne la satisfait pour des raisons souvent justifiées, parfois plus fantasques. De ses désirs, elle ne dit rien mais on peut supposer qu’elle n’a guère envie d’abandonner l’abbaye, deux ou trois pièces peut-être ? une cave ou des annexes, à la rigueur, mais pas tout… Garder au moins un pied-à-terre, ne pas tout perdre… L’avenir est plein d’incertitudes ? Qu’à cela ne tienne ! L’été 2007 réunira tous ceux qui ont fait la vie de l’abbaye depuis cinquante-cinq ans. " Si je laisse cette maison, je veux qu’elle soit en ordre et que mes quelques archives soient déjà classées. Qu’on les jette après moi est sans importance ! "
Le but est de rassembler tous ceux qui, de par le monde, ont un jour fréquenté l’abbaye, ceux pour qui Baume et sa propriétaire représentent un moment plus ou moins important de leur vie. Rendez-vous est donné aux anciens stagiaires et à tous les artistes, en essayant de se préserver du syndrome des " anciens combattants ", et en regrettant les vides que la mort a creusé. Est prévu un livre d’or où chacun pourra témoigner, et des rencontres le mercredi, autour d’un verre.
" Je voudrais comprendre ce qui s’est passé, même si je ne trouverai probablement pas de réponse. Comprendre pourquoi tant de choses ont débuté sans toujours parvenir à s’accomplir ? "

Ils sont tous venus à l’exposition, tous ceux qui l’aimaient et l’admiraient. Un livre est sorti cet été pour retracer son œuvre, un autre est en préparation. Le Conseil Général a acheté une partie de son logement, puis elle est tombée malade. Elle affirmait avec une rare élégance qu’elle aimait dans sa vie être déroutée, et que l’hôpital serait une nouvelle expérience. Elle disait qu’elle était portée par tant d’affection autour d’elle. Elle disait de si belles choses… Et même durant sa maladie, c’était encore sa voix qui nous consolait. Tant qu’elle me tenait la main, je pouvais aller loin…
J’imagine Baume silencieux, dans cette nuit d’hiver où la roche serre de tout son poids. Même durant l’isolement de la mauvaise saison, la maison de Josette ne respirait jamais la solitude. Les vieux murs vibraient toujours des échos des anciennes discussions ; chaque recoin gardait la trace du passage des amis, comme une présence légère qui imprègne les lieux. " L’hiver, disait-elle, ma lumière est souvent la seule allumée dans l’abbaye. Tant qu’elle existe, il y a encore quelqu’un qui attend. On ne sait pas quoi, mais cela compte… "

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Commentaires
M
Pour prolonger le travail réalisé à l'occasion de la parution du livre consacré à Josette Coras en 2007 (dont je suis l'un des co-auteurs) et avec la famille de l'artiste, nous recensons les oeuvres de Josette Coras en mains privées ou dans des collections publiques pour essayer d'en établir le catalogue le plus complet possible. Pouvez-vous m'aider à diffuser l'information ?<br /> Par ailleurs, le logis abbatial de Baume-les-Messieurs présentera cet été une exposition consacrée à Josette Coras : www.juramusees.com.<br /> Merci d'avance pour votre aide et très bonne année !<br /> <br /> je suis joignable au 06 82 45 22 63
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