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Estampe d'Aquitaine
17 décembre 2008

Itinéraire d'un graveur : Eric Robert-Aymé b

Itinéraire d’un graveur : Eric Robert-Aymé

Par

Michel Wiedemann

Président de l’Estampe d’Aquitaine


Les premiers dessins d’Eric Robert-Aymé sont réunis dans deux portefeuilles : Marines et Réalisme fantastique (1981). Cet intitulé se veut un hommage « aux auteurs du Matin des Magiciens, qui proposent une vision nouvelle de l’univers où le sens du merveilleux reprend sa place ». Une végétation exubérante d’hybrides inconnus des botanistes y voisine avec d’énormes polyèdres, des crânes et des ossements, des masques d’Afrique et de Polynésie dressés devant des châteaux de notre Moyen Age, des villes hérissées de tours perchées en surplomb sur des éperons rocheux rongés par l’érosion et les racines. Ce monde mort flotte dans le vide sous des lunes sans lumière. Les navires de Marines s’enlisent dans la vase, s’égarent dans les montagnes, s’accrochent aux rocs des cataractes, s’échouent sur des cristaux de basalte. … Tous les souvenirs du monde ont été convoqués pour en créer un autre par des accouplements contre nature, par des réunions impossibles de contraires dignes des grands rhétoriqueurs.

Ces dessins à la plume sont devenus facilement des eaux-fortes au trait , puis en 1982, E. Robert-Aymé découvre le burin avec l’amitié de Dominique Sosolic. C’est dans les gravures de Mohlitz datant des années 70, ou dans quelques chefs-d’œuvre de la bande dessinée  (Druillet, Mœbius, Bihannic …) qu’ont été puisés les éléments de ce vocabulaire fantastique.

Mais il faut remonter au-delà de ce siècle pour trouver l’origine de ce courant, dans l’œuvre de Rodolphe Bresdin (1822-1885). Ses fouillis végétaux entourant une scène minuscule, ses petits animaux grouillant dans les fourrés, ses squelettes cachés, ses racines zoomorphes, le dessin de ses nuages, sa façon de composer certaines vues en trouant de lumière un cadre végétal dense, tels sont les éléments qui découlent de cette source romantique, en passant par Mohlitz jusqu’à Robert-Aymé. 

Puis, suivant d’invisibles lignes de partage, Eric Robert-Aymé abandonne certains territoires  pour creuser son propre cours. Sa gravure renonce aux fourmillements de végétaux et d’animaux, aux racines de forme indécise, elle laisse à Mohlitz ses éléments d’architecture  mêlés et les carcasses échouées lors de romanesques naufrages. Les ingrédients d’un style  nouveau se mettent en place dès Paysage (1985).

Citons d’abord une gamme de tons élargie jusqu’au noir absolu par le recours à des tailles très serrées de burin. Ce noir mat traverse en larges bandes les fonds d’Anxiolyse ou d’Opus pistorum (1988) comme des faisceaux de quelque anti-lumière, de néant obscur au milieu des braises.

En second lieu, il faut noter une matière traitée au burin, qui fait penser tantôt à des rameaux ou à des racines, tantôt à des laves solidifiées  en plein bouillonnement, tantôt à des os ou à des viscères vus en coupe. Tous les ordres de la nature sont mêlés dans cette matière première unique qui semble antérieure à la séparation du minéral, du végétal et de l’animal, et susceptible d’en prendre toutes les formes. L’épuration du vocabulaire au cours des années 1985-87 laisse donc subsister le noyau du fantastique : l’hésitation du regard, le suspens de l’esprit qui doute de l’ordre des choses.

A ce trouble s’ajoute celui des conditions même de la représentation. Là encore E. Robert-Aymé a suivi Dominique Sosolic  dans la mise en relief du cadre. Dans Souvenirs de Mélanésie (1985), il y a un jeu de quatre images et cadres décalés empiétant l’un sur l’autre. Dans Solution de continuité (1987), le paysage est divisé de haut en bas par une apparence de fracture qui laisse voir le papier, une coulée blanche partie de marges isole un coin de l’image et passe derrière lui dans la composition. Dans  Formes naturelles abstraites (1988), le cadre est simplement écorné et ce coin manquant suffit à attirer notre attention sur cette limite conventionnelle et donc invisible. Dans Anxiolyse (1988), un canton de l’image est découpé dans une composition plus vaste qui en prolonge les traits. Dans Paysage onirique (1987) l’image se poursuit sur le papier par une partie non encrée, en estampage. Enfin, dans Réalité non ordinaire (1987), comme dans Espace minéral ( 1988) ou dans Concrétion ( 1989) , le cadre ne fait pas le tour de l’image, il est comme débordé par le magma des éléments représentés qui surgit vers le spectateur. Innombrables sont les formules pour rompre cette vitre par laquelle nous voyons et qui nous abrite, mais aussi pour dénoncer la duplicité de l’image et l’illusion qu’elle produit.

Dans ce monde imaginaire, nous retrouvons seulement une partie des attributs du nôtre. Y connaît-on la pesanteur ? La gravitation n’est-elle pas suspendue ou inversée pendant certaines périodes pour permettre des cristallisations efflorescentes en tous sens ? Ailleurs une sorte d’érosion lunaire, sans eau et sans cause, semble arrondir les masses, briser les concrétions trop fines et en tirer vers le bas les débris. Leur matière première n’est pas lumineuse par elle-même comme la lave sortant des volcans ou le métal en fusion des hauts fourneaux. Il y a des crêtes lumineuses et des creux ombrés.

Mais d’où tombe cette lumière qui vient d’en haut ? S’il se trouve un ciel, dans Paysage et dans Espace minéral, il est partagé entre la lumière et les ténèbres épaisses qui l’envahissent. Dans les compositions les plus abouties des années 1987 à 1990, Formes naturelles abstraites, Réalité non ordinaire et Quête sans fin, il n’y a pas de ciel, on se croirait dans une grotte, dans une mine où la lampe au front du visiteur fait briller un instant des formes qui n’ont jamais vu le jour.

Après ces grands monuments est venue pour E. Robert-Aymé une phase de recomposition. Dans Concrétion aléatoire (1989) se continue, avec un dosage différent, la série des pièces dont le sujet est une matière imaginaire. Passons sur les œuvres de circonstance : l’ Hommage à Mohlitz (1989)  est un retour aux sources figuratives  marqué par l’ambiguïté des formes, l’exubérance végétale, et le remploi des motifs de la salamandre et du mortier, allusion au pharmacien dédicataire. Ondes imaginales est présenté la même année à un concours sur le thème des médias : l’écorché d’un crâne y laisse voir d’en haut  l’arrivée des informations visuelles, olfactives et auditives dans un fouillis de neurones.

Cependant, même dans les œuvres librement advenues, plusieurs axes divergents se découvrent à l’observateur. La recherche de matières nouvelles apparaît dès Opus pistorum ( 1988) où des textures légères obtenues à l’eau-forte forment le fond des masses travaillées au burin du premier plan. Ce même contraste de netteté entre les deux techniques donne sa profondeur à Chine I (1990) entre feuilles de bambou et ombres embuées.

Faut-il d’autre part avouer qu’en 1991, E. Robert-Aymé s’est essayé à la peinture, en grand format et en couleurs ? Il est revenu à la gravure, certes, mais avec le goût du mouvement, de l’aisance du geste. L’eau-forte lui a permis de tracer les chutes, les rebonds d’objets évanouis dans Ascension (1991) ou dans Mouvements I et II (1992). Le dynamisme ainsi gagné se retrouve dans les lignes, les rubans, les spires entrelacés au burin d’Interstitium I et II (1991). Le trait réduit à lui-même sur un fond clair construit encore un espace où son mouvement se déploie, mais n’évoque de substance visible qu’aux anatomistes familiers du microscope . C’est le stade le plus épuré de ce vocabulaire graphique.   

Un troisième axe est la réduction du format dans la série Xylon (1991, 7x10 cm), Crucifère (1992, 10 x 10 cm), Pierres (1992, 9x9 cm). Elle s’accompagne de la disparition des jeux sur le cadre, mais c’est un choix plutôt qu’un manque de place. Car il reste, dans ces formats si petits, de grandes zones vacantes, des blancs où le trait inachevé s’interrompt, où un contour lointain est seul marqué ou même disparaît. Ce parti de concision, de suggestion par le vide est associé à la manière claire qu’on avait déjà pu  voir dans Eaux vives (1988). La lumière mange les contours des objets. Au lieu de sacrifier les détails des ombres en les « salissant » comme le voulait dans son traité de 1758 Charles–Nicolas Cochin, E. Robert-Aymé se laisse éblouir par l’invasion de la lumière dans la matière.

Enfin les titres mêmes annoncent que cette série de gravures revient à la figuration d’objets, fussent-ils des textures de pierre, de bois ou de feuilles de chou.

L’évolution d’Eric Robert-Aymé n’est pas linéaire ni cyclique ; elle serait plutôt de forme arborescente, l’artiste revenant en arrière, quand une direction est épuisée, à un embranchement qu’il avait négligé. Elle part d’un fantastique hétéroclite qui emprunte à la bande dessinée, qui doit au romantisme certains éléments médiévaux, qui prend à Bresdin et à Mohlitz leur esthétique du foisonnement. Avec l’apport de Sosolic, Robert-Aymé élabore son fantastique de la matière et de la lumière, débarrassé des références historiques et de la représentation des choses. En s’épurant encore, il se passe de la matière et  parvient par cette voie originale au degré de dépouillement gestuel que la peinture atteignait vers 1955 avec Hartung, Michaux et Mathieu . Par ses derniers travaux, E. Robert-Aymé , né en 1958, rejoint les courants esthétiques de son temps. Mais il ne se laisse pas réduire à une formule, si pure soit-elle, et aux fragiles discours de critiques, il préfère son reflet dans le cuivre frais.


Michel Wiedemann,

Bordeaux le 26 juillet 1992.

  In  Eric Robert-Aymé, Gravures, Catalogue de l’exposition au Musée Denon de Chalon sur Saône, septembre-novembre 1992, sous la direction d’André et Claude Laurencin. Imprimé à Macon par Buguet-Comptour, dépôt légal imprimeur N° 509, septembre 1992.

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