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Estampe d'Aquitaine
1 mars 2008

Luc Detot graveur

Estampe d'Aquitaine, 22 sept. 2005 à 18 h 30

Médiathèque Gérard Castagnéra à Talence

LUC  DETOT

Luc Detot, né en 1960 à Paris, élève des Beaux Arts de Bordeaux, professeur d'arts plastiques à l'Institut bordelais de stylisme et de modélisme, artiste intervenant au Louvre, expose régulièrement ses œuvres dans des galeries de Bordeaux, Bilbao, Paris, Toulouse etc… Il a été lauréat de la villa Médicis hors les murs en 1992.

Luc Detot n'est pas un graveur exclusif, c'est un dessinateur et peintre contemporain qui est passé plusieurs fois à la gravure. Il n'est donc pas un puriste d'une technique donnée, il les mêle volontiers: il fait sur des planches gravées des effets d'encrage qui en font des monotypes, il peint sur des tirages photographiques, il encre comme des planches de taille-douce des feuilles de papier traitées. Il travaille la terrre, photographie ses modelages sans en laisser voir l'échelle et expose les tirages photographiques qui en résultent. Luc Detot est tout à l'opposé du buriniste qui ne connaît qu'un outil. On aurait dit autrefois qu'il est un polygraphe. La gravure est pour lui une technique parmi d'autres, ce qu'elle a d'intéressant, c'est le geste de graver, le genre de trait et d'atmosphère que la pointe sèche permet d'obtenir. Les questions de tirage et d'édition ne l'ont pas trop retenu. En conséquence, Luc Detot est l'auteur de quelques œuvres réelles et de plusieurs livres qui n'ont pas paru dans la Bibliographie de la France.

Citons d'abord ce qui est visible: il s'agit de Melancholia, paru en 1991 chez Eric Dupont éditeur et galeriste à Toulouse. Il s'agit de dessins des années 1987-88 reproduits à l'échelle dans un livret, juxtaposés à des titres évoquant les grands thèmes de la culture occidentale, de l'iconographie classique, de gravures de Dürer: La danse, la promenade, mélancolie, nu féminin vu de dos, la chute de l'homme, Narcisse, le rêve d'Olympias, le sacrifice (où l'on voit une croix), la déposition, la déploration du Christ, saint Sébastien, le martyre des dix mille. Encre  noire, traits de plume, lavis, grattages obliques de lignes croisées, superposition de techniques, ébauches de figures claires sur fond sombre, lumières dans beaucoup d'ombre. On est loin de l'étude par la reproduction des maîtres, le trait violemment simplificateur, l'inachèvement rapprocheraient ces travaux de ces dessins à la plume fougueux où les artistes depuis la Renaissance jetaient les premiers feux de leur idée avant qu'elle ne se coule dans les contours étudiés figure après figure, membre après membre.

La découverte de la gravure a suivi cette première phase de travail, mais elle n'a pas suscité de nouveaux thèmes, ni donné à l'artiste une autre histoire que la sienne: les gravures prolongent ses recherches sur les thèmes antérieurs .

La gravure qui semble un rectangle inscrit dans un autre  est en fait un appendice à une série de dessins et de sculptures sur le modèle des autels portatifs médiévaux conservés au musée de Cluny. Table rase au centre, marge couverte de signes sur le pourtour, ces autels ont été réalisés en bois exotique dans des blocs très lourds qui servaient de cale aux navires de Bordeaux. Cirés et teints au pastel noir, ils deviennent lisses, sombres, brillants comme les marbres antiques consacrés au centre des autels médiévaux.

Mais un autre type d'images a séduit notre artiste et l'a engagé vers des recherches inspirées de William Henry Fox Talbot auquel il a emprunté pour son ouvrage[1] un titre devenu fameux : The Pencil of Nature. Il s'agissait de graver dans la matière une empreinte directe de la nature. Cette idée a donné une série de tableaux sur des panneaux de bois de grande dimension préalablement enduits d'une préparation à base de plâtre. Avec la même technique que la pointe sèche, Luc Detot y a gravé des animaux, des coquillages et des fleurs. En parallèle, le livre sous coffret reprend la même thématique de l'empreinte fossile. Il s'ouvre par une citation d'Empédocle d'Agrigente:

Et sur terre apparut un peuple de vertèbres

Disjointes, bras errants, prunelles sans orbites,

Tête et cou non unis, ébauches.

Poissons, alevins, coraux, étoiles de mer, plantes à longues tiges, lézard, bivalve, crustacé, crevette, restes informes, poisson à tête d'hippocampe, tous sont des fossiles écrasés depuis des millions d'années et reparaissant au jour réduits à un profil obscur sur fond plus clair, comme griffé par le temps. Sur ces petites images aux formats variables, des êtres sans nom laissent leur trace d'ombre d'une densité variable, laissant voir les os et les arêtes qui ont résisté à la dissolution des chairs. Ce monde d'avant l'homme, ces formes si proches de celles que nous connaissons et qui pourtant n'existent plus, ont été la source des plus graves questions sur la création du monde, sur la valeur du récit qu'en fait la Bible, sur l'apparition et la disparition des espèces, sur la place de l'homme parmi les autres êtres. Le décompte minutieux des particularités de chaque spécimen ajoutait une page après l'autre à l'album des créatures. La paléontologie édifiant ses classes rejetait le récit de la création parmi les mythes et beaucoup de croyants ne s'y sont pas encore résignés. 

A cette époque de la science triomphante, William Henry Fox Talbot, savant anglais, passionné d'égyptologie et de chimie, inventait des procédés qu'il breveta sous le nom de "talbotype or sun pictures" en 1841 pour garder la trace des objets posés sur un papier sensibilisé à la lumière. Broderies, gravures au trait, dessins, feuilles de fougères, posés sur  la surface sensible, y ont laissé leur ombre, qu'un traitement répété à l'identique sur une seconde feuille a transformée en image positive. C'était la source de tous les procédés à négatif. Un album formé de ces images issues du contact direct ou de la chambre noire fut publié en 1844 à un petit nombre d'exemplaires sous le titre The Pencil of Nature. Cet ouvrage est devenu comme l'incunable archétypal des livres de photographies. L'auteur insistait dans le texte de présentation : "les planches de cet ouvrage ont été imprimées uniquement par l'action de la lumière, sans aucune intervention du crayon d'un artiste". Là œuvrait seul le crayon de la Nature.  L'effacement de l'artiste, ce fut le début d'une autre époque où l'image devint la trace de la lumière émanant directement de l'objet, sans intervention de la main.

Mais ces gravures où les êtres semblent avoir laissé sur le cuivre comme des images radiographiques, dont la densité dépend de leur opacité, ce sont en fait les traces de la pointe et du pinceau  de Luc Detot qui s'efface devant le poids et l'épaisseur des choses.

Les travaux de restauration entrepris à Paris, la fréquentation du Louvre ont donné à Luc Detot le sens de l'histoire et de ses palimpsestes. De là naît  un projet de livre[2] intitulé : L' Iliade et illustré comme suit:

I. La querelle d'Achille et d'Agamemnon.

Têtes d'Agamemnon et d'Achille casqués.

II. Le songe d'Agamemnon.

Homme barbu couché sur fond noir.

III. Le pacte entre Ménélas et Paris -Alexandre.

Deux guerriers debout, tournés en sens opposé.

IV. Le pacte violé.

Une flèche de Pandare atteint Ménélas .

V. La fin de Pandare.

Tête casquée, entourée d'une légende circulaire .

VI. Hector et Andromaque .

Femme debout, de profil, tendant les bras.

VII. Combat singulier d'Hector et d'Ajax.

Casque à panache, épée et bouclier .

VIII. Contre-attaque achéenne.

Stèle brisée portant les noms des guerriers .

IX. Conseil nocturne chez les Achéens.

Masque funèbre dit d'Agamemnon .

X. Nouveau conseil des chefs achéens.

Guerrier brandissant son javelot  sur un disque fleuri.

On a dessiné, on dessine toujours les figures des vases grecs pour en développer les frises et donner à voir les motifs cachés par la forme du vase, comme si le support n'avait aucune part à l'œuvre. On l'a fait aussi parce qu'aucune photographie ne peut redresser la courbure de la panse d'un vase. Le vicomte de Roton alias Notor a publié des relevés iconographiques  de ce genre qui donnent par leur ton vigoureux une idée contrastée des formes de la peinture grecque. Mais nous ne voyons chez Luc Detot aucune intention documentaire, aucun corpus encyclopédique.

Nous entrons dans la légende par  une porte étroite. L'épopée grecque n'est évoquée ici que par fragments: aucune vue complète d'une scène, ni duel de héros, ni bataille rangée, ni vue des murs de Troie, ni sur la  flotte des nefs achéennes. Dans une vaste page blanche qui fait face au texte homérique se détachent au centre des personnages ou des objets. Les noms des personnages sont écrits en caractères grecs, quelquefois de droite à gauche ou à la verticale. Ils sont cependant en langue française. Le but n'est pas de fournir un texte lisible, mais d'évoquer l'effet graphique des légendes dans la céramique grecque à figures peintes. Les personnages sont dessinés comme sur des vases grecs. Mais ce n'est ni la céramique à figures rouges, ni celle à figures noires: l'opposition de teintes entre fond noir et figure n'existe pas, les personnages sont dessinés au trait, avec des aplats de noir un peu bistre obtenus par morsure à l'acide. Il n'y a pas de soleil, ni d'ombre sur ces personnages de légende. Les casques cachent les visages réduits à des types. Les fragments de décor peint sont répandus sur la page comme des tessons rassemblés dans les reconstitutions archéologiques. L'immense durée qui nous sépare d'eux, et les ruines successives des empires n'ont laissé de ces figures que des fragments épars. Il nous incombe de reconstruire toute l'histoire dont nous avons seulement des bribes à partir de l'éclat concis d'un tesson.

Depuis ce travail sur l'Iliade, Luc Detot a gravé en 1992 une série en petit format de têtes  coupées, plantées sur un baton, cernées par une légende comme un portrait monétaire, pour représenter des êtres "sans être dans l'identité ". Il a gravé aussi de petites planches en demi-teintes explorant le corps partie par partie: un sein, un pli de chair, des fragments réduits à un trait qui deviennent  des représentations abstraites.

Après sont venues des recherches sur des photos en format 60 x 90 cm de fleurs et de terre  retravaillées à la peinture acrylique pour en modifier l'effet et le concentrer sur certaines zones. 

Luc Detot est passé au grand format avec sa série monumentale de faux portraits dessinés au crayon, de face, les yeux fermés, et rendus flous par une couche de cire. Les figures se détachent sur des fonds rouges ou verts. Il ne s'agit pas d'individus nommés, mais de visages en général, d'hommes et de femmes: les africanistes diraient peut-être des figures d'ancêtres.   

Le corps est de  nouveau l'objet principal des récents travaux de Luc Detot. Mais ce n'est pas le corps comme objet désirable, ni comme siège de sentiments et de passions, comme reflet de l'âme à supposer qu'elle existe; c'est un corps paysage où l'on se perd, où l'on ne se retrouve pas, un lieu étrange à voir à l'extérieur comme à l'intérieur.  Inspirées des cires anatomiques du dix-huitième siècle, des corps du Christ et du lépreux peints par Grünewald dans  la Crucifixion et la Tentation de saint Antoine du rétable d'Issenheim, des études de cadavres de Géricault pour le Radeau de la Méduse, ces images évoquent la texture des organes internes, tels que les verrait un embaumeur ou un chirurgien. La photo s'interpose pour ôter de la brutalité à ces vues reconstituées par les artifices de l'imagination, avec de modestes moyens. A force d'étrangement, si l'on risque ce néologisme, le corps, méconnaissable à une échelle inconnue, devient un paysage d'un astre aux reliefs tourmentés et aux couleurs intenses. On est transporté ailleurs et l'on rentre en soi-même. 

Michel Wiedemann, président de l'EDA

[1] DETOT (Luc) :  The Pencil of Nature, Sine nomine, sine loco. Suite de 15 eaux-fortes sur vélin d'Arches tirée à 25 exemplaires, et d'un titre gravé . 1994.

[2] HOMERE: L'Iliade, Textes choisis et illustrés par Luc Detot d'après la traduction de Paul Mazon aux éditions Guillaume Budé . Editions Jeanne Hébert. C'est une adresse imaginaire, comme on en donnait à Amsterdam sous l'ancien régime. En fait ce livre n'est qu'un projet en attente de publication depuis 1994. 


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Commentaires
S
je n'avais pas lu cette étude et j'en suis trés honoré. c'est un beaux texte merci encore<br /> je prépare une expo importante à la vielle église st.vincent. la gravure y tiendra une place importante. c'est prévu pour le mois d'avril jusqu'en juin. un catalogue sera édité par le festin et écrit par dominique dussol
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